
Quelques extraits de mon livre à venir...
Le sacrifice du papillon
Essai sur l'amour
Avant-propos
Isabelle torture mon esprit depuis 12 ans. Elle m’avoua aux détours d’un déjeuner être éperdument amoureuse de moi. Nous nous connaissions à peine. Comment était-ce possible ? Qu’avais-je donc fait pour susciter un tel sentiment ? Qu’espérait-elle de moi en faisant cet aveu ? Pourquoi ses sentiments n’étaient-ils pas partagés ? Pourquoi moi ? Pourquoi elle ? …
Alors que j’avais déjà été éconduit par d’autres femmes, c’était la première fois que je m’interrogeais sur la non-réciprocité de ce sentiment amoureux. Elle “cochait”, malgré tout, toutes les cases. Elle eut été parfaite pour moi. Mais ce n’était pas suffisant. Cupidon avait détourné le regard.
(...)
Introduction
« Ton sourire me manque… Mais le mien me manque encore plus. »
Anonyme
Dans cette étroite ruelle, une silhouette vacille telle une flamme. À contre-jour ardent du petit matin, elle s’approche. Et ce fantôme sombre m’aveugle. Il y a encore une seconde, je ne savais pas que je l’aimais. Comme une foi christique subitement révélée et éployée.
Elle est mon évidence, immanente.
Ai-je découvert ma moitié androgyne(1) ?
De ces êtres, qui au commencement, bouffis d’arrogance et de suffisance avaient été déchirés en deux condamnés ainsi par les dieux à se retrouver.
Est-elle ma moitié quantique(2) ?
De ces amas de particules fissurées depuis le Big Bang et liées à tout jamais, quels que soient les distances et le temps.
Elle me frôle enfin de son parfum. Mais peut-être avais-je déjà été inconsciemment imprégné par ses effluves hormonaux. Cupidon dont je distinguais à présent la marque sur ses lèvres me pénétrait alors d’un sourire telle une flèche décochée en plein cœur.
Comment ne pas vouloir, ne pas avoir le besoin « proustien » de traduire ces quelques minutes ? Comment ne pas vouloir en extraire la quintessence, pour que cette déjà madeleine, magnifiée, puisse être reproduite et consommée à nouveau ?
Dans le chaos de ma vie, j’apercevais de l’ordre et j’en redemandais. Indépendamment d’elle. Il me faut l’atteindre en terrassant, comme toujours, un dragon.
Je n’ai pas d’armure. Elle n’a pas de donjon.
Elle est, de fait, mon château de Thoreau(3) apparu dans le ciel et qu’il me faut maintenant atteindre.
L’horizon du monde se confondait alors avec le mien.
Mais l’intérêt qu’elle me portait n’avait d’égal que celle de la lueur vacillante d’une bougie pour un papillon de nuit. Ce même papillon qui finit par se brûler les ailes. Pour rien ? Qui sait ?
Et si cet attrait avait été réciproque, notre amour n’aurait duré, paraît-il, que trois ans. Un amour codifié et modelé par l’évolution(4). Il n’y aurait été question que d’hormones, phéromones et autres mécanismes biologiques complexes afin de permettre l’autonomisation de notre éventuelle progéniture.
1 Mythe platonicien expliquant le phénomène amoureux et sa recherche.
2 Phénomène dans lequel deux particules (ou groupes de particules) forment un système lié, et présentent des états quantiques dépendant l'un de l'autre quelle que soit la distance qui les sépare. Wikipédia.
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3 David Henry THOREAU : « Si vous avez bâti des châteaux en l’air, votre travail n’en sera pas forcément perdu : c’est bien là qu’ils doivent être. Maintenant, il n’y a plus qu’à placer les fondations par en dessous… ».
4 Lucy VINCENT. Comment devient-on amoureux ? Odile Jacob sciences.
Mais alors, comment expliquer les élans suicidaires de cet ami meurtri par l’annonce d’une rupture ? De la rupture d’avec l’amour de sa vie.
Il ne l’avait cependant jamais vue.
Cela avait commencé par quelques échanges téléphoniques qui étaient vite devenus moments d’éternité et de félicités.
Sous couvert d’anonymat, ils s’étaient tout dit. Ils avaient fantasmé. Ils avaient même fait l’amour. Un amour virtuel, cérébral et pur à l’heure où nos « appendices » portables(1) n’existaient pas encore.
Je me souviens encore du bonheur qui illuminait tout son être quand la sonnerie du téléphone retentissait. Plus rien n’existait en dehors de la voix de sa bien-aimée.
Comment auraient-ils pu être exposés à tous ces mécanismes biologiques ?
D’aucuns diront que ce n’est pas de l’amour, mais le résultat de la rencontre fortuite entre deux érotomanes.
Leur amour n’en était pas moins réel et palpable.
Que dire aussi de l’adolescent que j’étais quand je suis tombé amoureux de la plus délicieuse, noble(2) et innocente créature de ma classe de troisième. Et a 16 ans et demi d’une femme de 19 ans mon aînée qui avait fini par m’avouer que je ressemblais à son amant métis. Nous étions ses fruits d’outre-mer. En dépit de mes yeux embués, elle me quittait ainsi : « Je m’en vais. L’exotisme se consomme sur place. » Cupidon avait retiré sa flèche comme l’aurait fait un chirurgien de guerre, sans anesthésie et sans états d’âme.
Quelle horrible histoire me direz-vous ?
Mais ma vie éveillée d’alors était beaucoup plus belle que mes rêves.
Notre esprit apollinien occidental(3) nous fait percevoir l’amour toujours idéalement.
Quoi de plus noble que d’agir en son nom ?
L’amour fait que tout est possible ; tout est réalisable. Mais est-ce vraiment le cas ?
Dans la « vraie vie », ses apparences et ses effets sont multiples à l’image du feu qui émet de la chaleur, vous illumine, mais peut aussi vous brûler.
Les histoires d’amour sont toutes singulières. Il y en a, semble-t-il, autant à raconter que d’individus. L’amour peut être vécu isolé dans l’adoration d’une idole par exemple. À l’opposé, il peut être aussi partagé entre nos amis et les membres de notre famille.
Le pluri-amour n’est pas une vision de l’esprit. Nous le pratiquons tous les jours comme M. Jourdain pratiquait la prose. Nous avons toujours aimé plusieurs personnes simultanément. Pourquoi l’amour érotique(4) échapperait-il à ce partage ? Parce qu’il serait moins noble ?
L’amour peut être semé dans les corps entremêlés arrosés de fluides parfois sales, très sales(5). De belles roses aux parfums enivrants émergent bien de tas de fumier puants.
Ainsi, nous « faisons l’amour ».
Nous ne sommes pas que les pantins du destin qui au gré des rencontres nous font tomber en amour. Nous sommes également les artisans de cet état amoureux. Nous sommes les jardiniers méticuleux à espérer de sublimes rosiers. Mais l’expérience nous apprend bien vite qui nous n’aurons pas la fleur que nous méritons, mais celle
que nous avons aidée à éclore.
Aimer serait aussi, indéniablement un art(6) ?
Les définitions données de l’amour que j’ai recueillies avaient au moins un point commun : nous ne saurions dire ce que c’est, mais nous pouvons en décrire les effets.
De ce fait, l’amour serait à nos émotions ce que le trou noir est à l’univers. On ne peut pas prendre une photo d’un trou noir puisqu’il ne renvoie pas la lumière. Mais nous pouvons définir son pourtour.
Nous pourrions presque dire que « l’amour ontologique » n’existe pas. Il émergerait de la transcendance de soi. Ses berges sont dessinées par nos propres histoires. Ces mêmes histoires singulières(7), nous le verrons hantées par de grandes espérances.
Cet ouvrage est le fruit de nombreuses années d’expériences amoureuses personnelles. Le fruit de recherches, questionnements, mais aussi d’interviews d’hommes et de femmes qui se sont sincèrement ouverts à moi et que je remercie profondément.
À l’heure où beaucoup, frénétiquement, irrésistiblement « répondent à l’appel du papillon(8) » pour se perdre dans les chairs et de vains espoirs, j’ai commencé à écrire pour me perdre dans l’amour que j’ai pour Claire, ma merveilleuse femme.
Voyez-moi comme une chenille et ce livre comme le cocon que j’ai tissé sans autre légitimité que d’être un homme qui se pose des questions. Voyez-le comme un témoignage.
Peut-être commencerez-vous également à confectionner votre chrysalide.
Peut-être nous envolerons-nous en nuées une fois devenus papillons pour notre ultime et plus beau des voyages.
1 Smartphones et autres objets connectés
2 Adèle
3 Reste à démontrer que la perception apollinienne de l’amour est universelle.
4 Selon Platon la troisième forme de l’amour : Eros (Sexuelle). Agapé étant la première (Divine ou inconditionnelle) et Storgê, la seconde (Amour de la famille).
5 Quête de la jouissance de l’autre dans les pratiques extrêmes.
6 Erich FROMM. L’art d’aimer. Pocket.
7 Histoires vraies.
8 C’est ainsi que j’aime nommer la crise de la quarantaine.
(...)